Quand on prononce le mot Disney, il vient à l’imagination tout un monde de douceur et de contes de fées. De douceur ? Pourtant, tous les films nous ont fait rencontrer des personnages moins sympathiques. Des méchants même. On les appelle les Vilains.
Et pourtant ! Que seraient les histoires dans le monde de Disney sans ces individus de noirceur ? Ils portent l’âme du film. Sans méchant, Blanche-Neige, Cendrillon ou Aurore vivent une vie tranquille dans le château de papa, attendant qu’arrive le Prince Charmant. Fin de l’histoire !
Dans les 101 Dalmatiens, le machiavélisme de cette hystérique de Cruella nous est chantée d’entrée par Roger. Retour sur la chanson Cruella De Vil, Cruelle Diablesse.
Une idée menacée
Elégante, créatrice de mode au goût prononcé pour les fourrures les plus originales Cruella est un personnage sombre, un Vilain Disney que nous avons bien failli ne jamais connaître.
L’histoire commence en 1959 alors que La Belle au bois dormant est un échec cuisant. Aux Studios, les financiers plaident pour l’arrêt des longs métrages, trop coûteux.
Mais Walt Disney résiste. Sortir des longs-métrages est son idée maîtresse. En 1956, iI a d’ailleurs décidé d’arrêter la production de courts métrages pour s’y consacrer. Il plaide alors pour une sortie d’un film long tous les deux ans. De plus, deux productions sont en cours. L’une sur l’enfance du roi Arthur, Merlin l’Enchanteur et l’autre concerne Les 101 Dalmatiens.
L’histoire de Dodie
Comme souvent, c’est la littérature qui a inspiré Walt puisqu’avant d’être le film que l’on connaît, The One Hundred and One Dalmatians est un roman publié par Dodie Smith en 1956 et qui avait été publié sous forme de feuilleton dans le magazine Woman’s Day dans une adaptation de Bill Peet. Il n’est pas un inconnu dans le monde de Disney.
C’est lui qui avait amené l’idée d’adaptation du Livre de Kipling mais on l’avait aussi retrouvé sur Cendrillon, La Belle au Bois Dormant, Peter Pan, Alice au pays des Merveilles, …
Disney, séduit par l’histoire de Smith, acquiert les droits en 1957 et demande à Peet de travailler sur un scénario.
Originalités
Bill Peet proposera une histoire empreinte d’originalité dans le monde de Disney. Pour la première fois, le long-métrage va adopter le point de vue narratif des animaux et non des humains, comme dans les précédents films.
En effet, même si ce n’est pas la première fois qu’un Disney donne les rôles principaux à des animaux, ils sont beaucoup plus présents dans la narration. Ainsi, Dumbo ou Bambi nous présentaient aussi des histoires centrées sur des animaux, mais à chaque fois le récit était raconté par un humain, pourtant quasi absent de l’histoire !
Et ce n’est pas la seule originalité. Le film s’est voulu également particulier dans son graphisme moins réaliste que ce que l’on rencontrait jusque-là avec des aplats de couleurs et des traits accentués.
Et puis, c’est surtout l’un des « Disney » les moins musicaux puisque, pour la première fois, le film ne repose pratiquement pas sur des chansons.
Mel Leven
Si la présence de chansons est particulièrement réduite, on y retrouve pourtant le mythique « Cruelle Diablesse »
Et pour une fois, pas de tandem pour l’écriture des chansons mais un seul compositeur : Mel Leven. Mel Leven se fait connaître dans le milieu de l’animation dans les années ’50 quand il collabore avec The United Productions of America qui produit le célèbre Mr Magoo. Mais il écrit aussi pour Nat King Cole, Dean Martin, les Andrew Sisters et pour Peggy Lee
Or nous sommes à la fin des années ’50 et Peggy Lee vient d’écrire les chansons de La Belle et le Clochard. Elle n’est sans doute pas étrangère au fait que Walt Disney lui-même invite Mel Leven à faire partie de son équipe de rédaction. Il aura alors l’occasion de collaborer régulièrement avec le compositeur George Bruns qui se voit confier la musique du film en préparation, les 101 Dalmatiens.
Cruelle Diablesse : Un titre de dernière minute
Disney demande donc à Leven d’écrire une chanson sur la méchante de l’histoire, une amoureuse des fourrures frôlant la folie. Le compositeur se lance dans l’écriture d’une variété de morceaux dont l’une qui évoque la création de l’affreux personnage dans un cimetière.
Mais moins d’une heure avant la rencontre avec le maître de l’animation, il écrit une page dans un style blues. Une mélodie, malicieuse, accompagnée d’un piano que vient soutenir des notes de trompette à la Louis ARMSTRONG.
En fait le morceau de Thelonious Monk, Ba-Lue Bolivar Ba-Lues-Are l’inspire et il compose Cruella Devil en 45 minutes !
Walt choisira cette version jazzy toute en contradiction … Cruella, côté “mode” ou côté “folle sorcière” …
Une méchante différente
Parmi les Vilains Disney, Cruella se montre différente. Une particularité due, en grande partie à l’image créée par Disney. Dans le roman de Dodie Smith, Cruella est une jeune fille trop gâtée par sa famille très riche, blasée de tout. Lorsque Bill peet adapte l’histoire, il la rend plus flamboyante et dangereuse, ce qui lui donne à certains égards un aspect comique ! La voilà d’ailleurs plus proche de celle qui avait inspiré l’auteur, Tallulah Bankhead, une actrice connue pour ses excentricités. Caractéristique qui est d’ailleurs reprise par Disney dans le film.
Pour la première fois, on se trouve face à une méchante, certes, mais pas une sorcière aux pouvoirs magiques, une grande dame horrible que l’on peut croiser chaque jour.
Une porte ouverte vers de nouveaux Vilains
Quoi qu’elle fasse, Cruella ne se remet pas en question, ce qui conduit à des scènes frôlant la folie exactement et à la chanson de Roger qui se moque du ridicule de cette femme qui se déplace telle une vedette, sa cigarette, plantée au bout d’un porte-cigarettes qu’elle agite en permanence. Explosive et excentrique, Cruella c’est le Diable s’habille en Disney !
Cela fait de Cruella un personnage intéressant, le premier d’une longue série de méchants comiques dans les studios Disney. Comiques tant leur méchanceté les rend ridicules.
Première version de la chanson
Dans sa recherche de composition, Mel Leven a écrit plusieurs versions pour décrire ce personnage dont celle écrite en 1958 et qui situe son apparition dans un cimetière.
Il avait prévu que Roger imagine qu’un tel personnage n’a pu voir le jour que d’une manière très surnaturelle et dans un cimetière de surcroît ! Il y raconte que se promenant dans un cimetière, il a vu une tombe conduisant à une grotte où 9 sorcières pratiquent. Et Cruella apparaît, les faisant toutes mourir de peur.
On est donc très éloignés de l’esprit du film ça, ce qui explique pourquoi Cruella Devil a été préférée à Creation of Cruella qui aurait pu laisser penser à une intervention de la magie, ce que l’on ne voulait pas dans cette histoire. Mais on en a toutefois un enregistrement.
D’autres chansons perdues
Cruella Creation n’est pas la seule chanson qui part à la poubelle. Leven a écrit deux autres chansons que le film ne reprend pas.
La première devait être entonnée par Horace et Jasper, les deux sbires de Cruella, qui, sous l’effet de l’alcool, nous parle de ne pas acheter un perroquet à un marin !
L’autre était une marche militaire à destination du Colonel qui entraîne la colonne de chiots en route vers Londres. Un chant d’encouragement : Cheerio, Goodbye, Tootle-oo, Hip Hip !
Que reste-t-il ?
Avec toutes ces chansons qui sont abandonnées, on peut se demander ce qu’il reste des apports de Mel Leven dans le film. Outre le fameux Cruelle Diablesse, n lui doit deux autres instants mais qui sont parfois presqu’anecdotiques.
Il y a ce moment où les chiots de Pongo et Perdita sont fascinés par leur émission de télévision préférée qui est interrompue par la publicité pour Kanine Krunchies, une marque de croquettes dont le jingle est écrit par Leven.
Et puis il y a le Happy End. Tous les chiots sont sauvés par Roger et Anita qui leur ouvre une Maison de Rêve. La Dalmatian Plantation qui clôture le film.
Innovations et succès
Avec autant d’innovations, on peut s’interroger sur le succès auprès du public. Curieusement, alors que l’on pourrait le qualifier de film à petit budget, il conduit au succès et rapporte beaucoup. Les critiques seront même les meilleures depuis Pinocchio en 1940.
Un succès qui est certainement dû à la qualité de l’écriture et les situations remplies d’humour proposées par les quelques trois cent artistes qui y ont travaillé pendant trois années.
Trois années qui ont conduit à l’une des méchantes les plus emblématiques de l’Univers Disney.
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