Pluto : Une naissance discrète (1930)

C’était un jour d’été comme tant d’autres dans les studios Disney. Le crayon traçait, le papier bruissait, et l’on peaufinait une nouvelle aventure de Mickey Mouse. Rien, à première vue, n’annonçait l’événement. Et pourtant, ce 18 août 1930 allait marquer un tournant dans l’histoire de l’animation.

Ce jour-là, un personnage fit sa première apparition sur les écrans. Il ne portait pas encore le nom par lequel il deviendrait célèbre, et rien ne laissait penser qu’il bouleverserait la vie de Mickey. Mais dès son entrée en scène dans le court-métrage Symphonie Enchaînée, il s’imposa comme une figure unique.

Dans ce film de huit minutes, Mickey est injustement emprisonné, accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Dans la cour de la prison, il joue de l’harmonica sous la surveillance du redoutable Pat Hibulaire et de ses deux chiens. L’air entraînant pousse les autres détenus à danser et à chanter. Profitant de cette agitation, Mickey tente de s’évader. Une course-poursuite s’engage alors avec Pat Hibulaire et ses deux Saint-Hubert.

Cette première rencontre est bien loin d’un coup de foudre amical. Pourtant, quelques mois plus tard, l’un de ces chiens réapparaît. Dans Le Pique-nique, sorti peu de temps après, Mickey et Minnie partent profiter d’une belle journée d’été, accompagnés cette fois du chien de Minnie, nommé Rover. Le spectateur ne le sait pas encore, mais ce Rover est le prototype de celui qui deviendra Pluto, compagnon indissociable de Mickey.

Cependant, à ce stade, rien n’est encore défini : le personnage n’a pas de rôle fixe, ni de lien particulier avec Mickey. Ce n’est que progressivement que son identité et sa fonction vont se préciser.

L’émergence d’un compagnon (1931)

En mai 1931, un tournant décisif s’opère. Dans le court-métrage La chasse à l’élan, Mickey part à l’aventure accompagné de celui qui devient son véritable compagnon. Le film doit son succès à une séquence pleine d’humour : par accident, le chien se retrouve affublé de branches sur la tête, et Mickey le prend pour l’élan qu’il poursuit. La méprise entraîne une série de situations comiques où Mickey chevauche un animal paniqué, avant qu’un véritable élan furieux n’apparaisse pour lancer une poursuite effrénée.

C’est dans ce film que le chien reçoit officiellement le nom qui restera le sien : Pluto. Le choix de ce nom n’est pas anodin : il s’agit d’une référence directe à la planète Pluton, découverte en 1930, soit l’année précédente. Ce clin d’œil à l’actualité scientifique ancre définitivement le personnage dans son époque.

Dès lors, Pluto devient indissociable de Mickey. La même année, huit courts-métrages les réunissent à l’écran, et douze autres suivent en 1932. Le public adopte immédiatement ce duo, qui s’impose comme un pilier de la production Disney.

Mais si Pluto connaît une ascension aussi rapide, il le doit avant tout au talent d’un homme : Norm Ferguson. Cet animateur, arrivé dans les studios en 1929, se distingue par son approche novatrice de l’animation. Il développe la technique du « suivi et chevauchement », qui permet d’obtenir des mouvements plus naturels en différenciant le rythme des différentes parties du corps d’un personnage.

C’est Ferguson qui, en animant la poursuite de Mickey et des deux chiens policiers dans Symphonie Enchaînée, a donné vie au premier prototype de Pluto. Il parvient à insuffler un réalisme bluffant dans ses dessins, traduisant l’illusion d’un animal tangible, animé par des émotions véritables. Impressionné par ce résultat, Walt Disney décide de donner à ce chien un rôle récurrent. Ainsi, Rover devient Pluto, et sa destinée s’unit à celle de Mickey.

Une personnalité unique

Contrairement à de nombreux personnages de l’univers Disney, Pluto se distingue par une caractéristique majeure : il ne parle pas. Alors que d’autres animaux comme Dingo sont anthropomorphes, capables de marcher sur deux pattes et de converser, Pluto reste un chien. Il aboie, gémit, grogne, mais jamais il ne prononce un mot. Son expressivité repose uniquement sur son corps, ses attitudes, ses mimiques et ses regards.

C’est précisément ce qui fait de lui un pionnier. L’animation de Pluto repose sur des éléments réalistes : bajoues pendantes, museau frémissant, corps souple, queue nerveuse. Mais derrière cette fidélité au comportement animal, se cache une subtilité remarquable : Pluto exprime des émotions humaines universelles.

En 1934, le court-métrage Playful Pluto atteint un sommet dans cette approche. Dans une scène restée culte, Pluto se débat avec un morceau de papier tue-mouches collé à son arrière-train. Pendant plus d’une minute, il tente de s’en débarrasser avec maladresse, hésitation et frustration. Sans un mot, sans un dialogue, le spectateur suit ses pensées, ses découragements, ses nouvelles tentatives. Pour la première fois dans l’histoire de l’animation, un personnage semble réellement réfléchir à l’écran.

Cette innovation doit beaucoup à Ferguson, qui formalise en 1936 une véritable « bible » du personnage. Sur quatre pages, il décrit en détail la construction corporelle, les expressions faciales, les habitudes et le tempérament de Pluto. Celui-ci y apparaît comme un chien loyal, joueur, impulsif et expressif. Il peut être peureux, maladroit, curieux, mais aussi courageux. Toujours, il reste profondément attachant.

Ainsi, Pluto cesse d’être seulement un acolyte de Mickey. Il devient une star à part entière, doté d’une personnalité riche, capable de porter ses propres histoires.

De l’acolyte à la vedette

Dès 1932, Pluto obtient ses premiers rôles en solo. Dans Just Dogs, il apparaît entouré d’autres chiens, amorçant une série de courts-métrages où il affronte seul des situations tantôt comiques, tantôt touchantes. Dès 1933, les animateurs introduisent ses « consciences » — deux versions parlantes de lui-même, l’une angélique, l’autre démoniaque — pour représenter ses dilemmes moraux.

En 1937, Pluto inaugure sa propre série officielle, avec Les Quintuplés de Pluto. Dans ce film, il doit s’occuper seul de cinq chiots turbulents. On y retrouve toutes les facettes de son caractère : maladresse, loyauté, naïveté, mais aussi une tendresse profonde. Il affronte également une galerie d’adversaires, du bouledogue Butch aux insectes malicieux, sans oublier les tamias Tic et Tac, qui deviendront des rivaux récurrents.

L’année 1942 marque un apogée, avec cinq courts-métrages solo parmi lesquels Pluto Junior et Pluto au zoo. Dans ces films, l’animal apparaît plus expressif que jamais : rêveur, maladroit, parfois malchanceux, mais toujours animé d’une richesse émotionnelle qui le rapproche du spectateur.

Au fil des décennies, Pluto ne cessera de réapparaître. Courts-métrages, séries télévisées, jeux vidéo : il devient un personnage incontournable de l’univers Disney, capable d’exister pleinement en dehors de l’ombre de Mickey.

Sa singularité demeure : il n’est pas un chien qui parle ou raisonne comme un humain, mais un chien qui, par la magie de l’animation, traduit à l’écran les émotions les plus humaines. En cela, il constitue un pont entre le monde animal et l’univers intérieur des spectateurs. Une oreille qui frémit, une patte hésitante, un regard éloquent : tout chez lui raconte, sans un mot, les joies, les peurs et les maladresses universelles.

Conclusion

Né en 1930 d’une innovation technique, Pluto s’est imposé comme bien plus qu’un simple compagnon à quatre pattes. Il est l’un des premiers personnages d’animation à exprimer des émotions complexes uniquement par le mouvement. Son succès immédiat et durable s’explique par cette expressivité silencieuse, cette humanité animale qui reflète les émotions de chacun.

Derrière l’ami fidèle de Mickey, se cache une véritable révolution artistique : la démonstration éclatante que le dessin animé peut transmettre des sentiments profonds sans le moindre mot.

Pluto n’est pas seulement une figure du passé de Disney : il demeure, encore aujourd’hui, l’un des personnages les plus aimés de l’écurie, témoin de la force universelle de l’émotion animée.