La naissance de Pat Hibulaire : un pilier méconnu de l’univers Disney

Chapitre 1 – Les années folles et la naissance d’un vilain
Dans les années 1920, le cinéma d’animation vivait ses premiers balbutiements. Walt Disney, alors jeune créateur en quête de nouvelles formes d’expression, expérimentait des techniques audacieuses : courts-métrages en noir et blanc, mélange d’images réelles et d’animation, personnages hybrides n’ayant parfois qu’une existence le temps d’un gag.

C’est dans ce contexte, au cœur des Alice Comedies, que naît le 15 février 1925 un personnage destiné à durer. Tandis que la jeune Alice partage ses aventures avec un chat nommé Julius, d’autres figures secondaires apparaissent sporadiquement. La plupart disparaissent aussitôt. Mais l’un d’eux, à la différence des autres, va résister à l’épreuve du temps : Pat Hibulaire.

Sa première apparition se fait dans Alice Solves the Puzzle. Dès le départ, il se distingue comme antagoniste, opposant principal de l’héroïne. Et contrairement à d’autres personnages éphémères, Pat reviendra maintes et maintes fois. À tel point qu’il deviendra le plus ancien personnage Disney à connaître une véritable carrière : traversant l’ère du muet, puis celle du parlant, passant du noir et blanc à la couleur, avant de s’inviter sur le petit écran et jusque dans les jeux vidéo.
Chapitre 2 – Une identité mouvante et une carrière partagée
Dès ses débuts, Pat Hibulaire présente une identité instable, presque insaisissable. Son nom change au fil des épisodes : Bootleg Pete, One-Eyed Pete, Putrid Pete, Peg-Leg Pete, Black Pete… De la même manière, son apparence reste indécise. Animal anthropomorphe, il est tantôt représenté comme un ours massif, tantôt comme un gros chat. Sa jambe de bois, tantôt présente, tantôt absente, devient néanmoins une caractéristique récurrente, marquant son identité de manière singulière.

Cette flexibilité visuelle et narrative lui permet de s’adapter aux besoins des scénarios. Dans la série des Alice Comedies, il endosse tour à tour les rôles de contrebandier (d’où le surnom « Bootleg »), de rival mondain, de chef de bande ou de compétiteur sportif. Là où d’autres personnages s’effacent, Pat trouve dans cette capacité d’adaptation la clé de sa longévité.
Lorsque la série Alice s’achève, Pat Hibulaire ne disparaît pas. Il migre vers une nouvelle production, celle d’Oswald le Lapin Chanceux, sous l’appellation Putrid Pete. Toujours adversaire, il n’est pas encore le méchant emblématique qu’il deviendra aux côtés de Mickey, mais il conserve sa fonction d’opposant. Ce transfert est unique à l’époque, puisqu’il lui confère une véritable double carrière : à la fois chez Universal, propriétaire d’Oswald, et chez Disney.

En 1928, Walt Disney perd en effet les droits d’Oswald, à la suite d’un coup monté par le distributeur Charles Mintz, qui travaille avec Universal. Non seulement Oswald lui est retiré, mais la plupart de ses animateurs quittent également le studio. Seul Ub Iwerks reste fidèle à Disney. Oswald continue donc d’exister sous l’égide d’Universal, tout comme Putrid Pete. Mais parallèlement, Disney, privé de son héros, invente Mickey Mouse. Et pour ce nouveau personnage, il fallait un adversaire à la hauteur. Pat Hibulaire, antérieur à Oswald, pouvait être réutilisé. Ainsi, il devient le seul personnage à mener une carrière double dans deux univers concurrents.
Chapitre 3 – L’adversaire de Mickey et l’évolution d’un rôle
Pat Hibulaire s’oppose à Mickey dès la deuxième apparition de la souris, dans Mickey Gaucho. Situé dans les plaines argentines, ce court-métrage met en scène Mickey en gaucho, Minnie en serveuse et danseuse de tango, et Pat en hors-la-loi. Profitant de l’agitation d’une taverne, il enlève Minnie et s’enfuit à cheval. Mickey, déterminé, se lance à sa poursuite, donnant lieu à leur premier duel à l’épée.

Cette rivalité se renforce dès l’année suivante dans Steamboat Willie, où Pat incarne une fois encore l’opposant de Mickey. Progressivement, il devient l’adversaire récurrent de la souris, mais son rôle évolue au fil des décennies.
Avec l’arrivée de la couleur, Pat perd peu à peu son image de brute pure et simple. On le découvre sous des visages plus variés : shérif autoritaire, voisin grognon, propriétaire cupide… Son rôle d’antagoniste s’élargit. Il se heurte désormais non seulement à Mickey, mais aussi à Donald ou Dingo. Parfois coupable, parfois victime des maladresses des autres, il devient un pivot comique des courts-métrages.

Présent jusqu’au milieu des années 1950, il disparaît avec la fin de l’âge d’or des cartoons Disney. Mais il n’en a pas fini : dans les années 1980, il effectue un retour remarqué. On le retrouve en 1983 dans Le Noël de Mickey, sous les traits du Fantôme des Noëls futurs, puis en 1990 dans Le Prince et le Pauvre. À partir de là, il s’installe durablement dans les productions télévisées, notamment dans La Bande à Dingo.

C’est dans cette série que Pat se voit doter d’une famille, révélant une facette plus nuancée et humaine du personnage. Sa femme Peg, sa fille Pistole et son fils Pat Junior, déjà apparu en bande dessinée en 1942, complètent le portrait d’un personnage qui ne se limite plus au rôle de simple brute. Sa famille contraste avec son tempérament, lui donnant une dimension inattendue et parfois touchante.
Chapitre 4 – Créateurs, voix et héritage
Pat Hibulaire doit sa création originelle à Walt Disney et Ub Iwerks, dans les Alice Comedies. Mais son évolution est le fruit d’une œuvre collective. Floyd Gottfredson, maître de la bande dessinée Disney, fixe son nom et certains de ses traits définitifs. L’animateur Norman “Mickey” Ferguson lui confère son expressivité et son dynamisme à l’écran. Quant à sa voix, elle a évolué avec le temps : Walt Disney lui-même la lui prêta dans les premiers films parlants, avant que Billy Bletcher ne l’incarne de sa voix grave et tonitruante de 1930 à 1960. En France, c’est aujourd’hui Alain Dorval qui lui prête sa voix, après l’inoubliable Roger Carel dans les productions plus anciennes.
Bien qu’il soit l’un des plus anciens personnages de l’univers Disney, Pat reste relativement discret dans les parcs. Contrairement à Mickey, Donald ou Goofy, il apparaît rarement en rencontres avec le public. On le retrouve surtout dans des éléments décoratifs, ou parfois dans des attractions en second plan. Comme d’autres personnages de la première génération, tels Clarabelle ou Horace, il demeure emblématique mais secondaire dans la stratégie des parcs.

Pat Hibulaire illustre mieux que quiconque la capacité d’un personnage à se réinventer. Né brute épaisse, transformé en vilain emblématique, devenu voisin irascible et père de famille, il incarne la continuité par le renouvellement. Si Mickey est la star éternelle et Donald l’éternel grincheux, Pat est le caméléon de l’univers Disney, capable de traverser le temps en se métamorphosant.







