Aux origines d’une légende ferroviaire
Les parcs Disney n’ont jamais eu pour seule ambition de proposer des manèges. Chaque création est pensée comme une expérience immersive où le visiteur devient acteur d’un récit. Décors minutieusement travaillés, technologies de pointe et bande-son orchestrée au millimètre servent un but précis : transporter le public dans un autre monde.

Le 2 septembre 1979 marque une date importante dans l’histoire des parcs à thème. Ce jour-là, à Disneyland en Californie, une nouvelle attraction ouvre ses portes : Big Thunder Mountain Railroad. Ce n’est pas seulement une montagne russe ; c’est un voyage au cœur de la ruée vers l’or dans l’Ouest américain, qui va marquer un tournant dans la conception des attractions à sensations.

L’histoire commence quelques années plus tôt. L’Imagineer Tony Baxter, épaulé par le concepteur Bill Watkins, travaille sur un projet inspiré d’une idée ambitieuse de Marc Davis : la Western River Expedition, un vaste pavillon sur le thème du Far West destiné au parc Magic Kingdom en Floride. Parmi ses composantes figurait un train de mine lancé à vive allure dans une montagne. Faute de budget après la construction de Pirates of the Caribbean en 1973, seule cette partie est conservée, transformée en attraction autonome pour Disneyland.

Pourtant, en 1974, le projet est mis en pause : toute l’énergie créative et technique est alors mobilisée sur Space Mountain à Tomorrowland. Un retard qui, paradoxalement, se révélera bénéfique. En effet, quelques années plus tard, Big Thunder Mountain devient l’une des premières attractions Disney conçues à l’aide d’ordinateurs, ouvrant la voie à de nouvelles méthodes d’ingénierie dans les parcs à thème.
La naissance d’un décor vivant
Big Thunder Mountain repose sur une technologie déjà connue : les rails tubulaires, utilisés pour la première fois par Disney en 1959 avec les Matterhorn Bobsleds. Mais cette fois-ci, le réalisme est poussé plus loin. Il s’agit de remplacer l’ancienne attraction Mine Train Through Nature’s Wonderland, située entre Fantasyland et les Rivers of America. Le défi est double : créer une montagne qui s’intègre à l’univers western tout en restant en harmonie avec les courbes douces et les couleurs pastel du voisin Fantasyland.

Le résultat est une montagne aux teintes magenta, striées et érodées, évoquant presque des sucreries géantes, tout en restant crédible dans un décor de Far West. Pour renforcer cette authenticité, certains éléments proviennent directement de l’ancienne attraction, réutilisés dans le nouveau paysage.

Le 2 septembre 1979, les visiteurs découvrent le parcours : embarquement depuis une gare extérieure (particularité unique de la version californienne), plongée dans un tunnel sombre peuplé de chauves-souris, puis première ascension à travers une caverne ornée de stalactites. Le train enchaîne descentes, virages serrés et traversées de grottes au son des coyotes, avant d’atteindre la deuxième montée où une chèvre animatronique tient un bâton de dynamite — clin d’œil culte pour les fans. Spirale descendante, camp minier, dernier tunnel avec fumées et explosions simulées : la mine semble s’effondrer autour des passagers. La course se termine en traversant les restes d’un T-Rex géant et en longeant les bâtiments de Rainbow Ridge, vestiges d’attractions passées, avant un retour en gare.

Une légende adaptée aux quatre coins du monde
Si le récit de base reste inchangé — une ville minière florissante à la fin du XIXe siècle, frappée par une catastrophe après avoir profané une montagne sacrée —, chaque version de Big Thunder Mountain possède ses spécificités.

Dans l’histoire, une veine d’or découverte dans le Sud-Ouest américain provoque un essor fulgurant. Mais la montagne est maudite : tremblements de terre en Californie et à Paris, tsunami à Tokyo, crue soudaine en Floride. Les villes sont détruites et abandonnées, mais les trains continuent de circuler… seuls, offrant aux visiteurs une expérience mystérieuse et surnaturelle.

En Floride, l’attraction ouvre le 15 novembre 1980. Le décor s’inspire cette fois de Monument Valley : formations rocheuses anguleuses et teintes terre cuite dominent le paysage. Une transition fluide relie la zone de Haunted Mansion à celle de Big Thunder Mountain le long des Rivers of America. Le 4 juillet 1987, Tokyo Disneyland accueille une version très proche de celle de Floride.
L’exception parisienne
À Disneyland Paris, Big Thunder Mountain prend une forme inédite. Ici, la montagne se dresse au cœur d’une île, et non au bord d’une ville fantôme ou dans un canyon. Les passagers embarquent depuis une gare continentale inspirée d’un bureau minier du XIXe siècle. Dès le départ, le train plonge sous les eaux dans un tunnel obscur qui mène à l’île. La lumière jaillit soudain, révélant un décor ocre et magenta, animé par des éclaboussures et des jets d’eau.

L’ascension est rythmée par des touches d’humour : deux ânes affamés, une chèvre chapardeuse, une chemise envolée sur une corde à linge. Mais l’atmosphère bascule : dans un tunnel sombre, les avertissements de dynamitage résonnent, le sol tremble, la fumée envahit l’espace. Propulsé hors de la mine, le train file le long de la rivière, replonge dans un second tunnel infesté de chauves-souris, puis refait surface pour revenir en gare.

Chaque version de Big Thunder Mountain conserve l’esprit d’origine : un voyage à grande vitesse à travers un décor vivant, où le frisson se mêle à l’émerveillement. Depuis 1979, cette montagne ferroviaire ensorcelée n’a cessé de séduire les visiteurs, s’imposant comme l’une des icônes incontestées des parcs Disney.
