L’éveil d’un monde enchanté

Arriver dans un parc Disney, c’est retrouver cette excitation familière, portée par les rires d’enfants, les musiques flottantes et une atmosphère suspendue entre rêve et réalité. Et puis, un jour, derrière une palissade, on aperçoit les signes d’un changement : un décor nouveau, des ouvriers à l’œuvre, des rumeurs qui s’échappent. Quand les portes s’ouvrent, c’est une nouvelle attraction qui surgit, prête à emporter les visiteurs dans une aventure immersive. Chez Disney, une attraction n’est jamais seulement un manège : c’est une histoire à vivre. Et parfois, cette histoire devient une légende avec It’s a Small World

Une attraction, un symbole
Le 28 mai 1966, une attraction dépasse le cadre du divertissement pour devenir un symbole universel. Elle incarne un message, une vision, une chanson. Ce jour-là, Disneyland en Californie inaugure It’s a Small World, une croisière paisible autour du globe, à travers une symphonie de poupées animées représentant les cultures du monde. Une seule chanson, déclinée dans différentes langues et orchestrations, accompagne cette balade : douce, entêtante, parfois agaçante mais toujours inoubliable.

Derrière les costumes folkloriques et les visages souriants se cache une ambition plus vaste, née dans un tout autre contexte : celui de l’Exposition universelle de New York de 1964.
New York, berceau de l’idée
It’s a Small World voit le jour pour répondre à une commande très particulière. Lors de l’Expo 64-65 à New York, Walt Disney est sollicité pour concevoir plusieurs attractions innovantes. Pour le pavillon Ford, il imagine Magic Skyway, un voyage dans le temps à bord de véhicules automatisés. Ce concept deviendra la base des futurs systèmes de transport dans les parcs Disney.

Mais un autre projet, commandé par l’UNICEF et sponsorisé par Pepsi-Cola, va s’imposer comme bien plus qu’une simple attraction : une œuvre porteuse d’un message universel. L’idée ? Créer une expérience qui célèbre l’unité des enfants du monde, au cœur d’une époque marquée par les tensions de la guerre froide mais aussi par un profond désir de paix et de fraternité entre les peuples.

Une chanson comme ciment
Au départ, chaque poupée devait chanter son hymne national dans sa propre langue. Le résultat s’avéra chaotique et peu harmonieux. Walt Disney, insatisfait, fit appel à Richard et Robert Sherman, les célèbres frères compositeurs déjà connus pour leur travail sur Mary Poppins. Il leur demanda une chanson simple, universelle, qui puisse être déclinée dans toutes les langues et styles sans perdre son essence.

C’est ainsi qu’est née It’s a Small World (After All), une ritournelle à la fois naïve et profondément engagée, portant un message de paix. Cette chanson est aujourd’hui l’une des plus traduites et les plus jouées dans le monde, devenant à elle seule une icône de la culture Disney.
L’inauguration de 1966
Après le succès de l’attraction à New York, It’s a Small World est démontée, transportée en Californie, et réinstallée à Disneyland. Le 28 mai 1966, l’inauguration de la version permanente se veut hautement symbolique. Lors de la cérémonie, des enfants venus du monde entier versent des fioles d’eau de leurs fleuves et rivières natales dans le canal de l’attraction, comme pour signifier l’union des peuples dans un même flot.
Ce geste, à la fois poétique et universel, réaffirme l’intention profonde de l’œuvre : rappeler que malgré nos différences, nous appartenons tous à un même monde.
Une signature visuelle : Mary Blair
Au-delà de la chanson, It’s a Small World marque aussi par son identité visuelle unique, fruit de l’imaginaire de Mary Blair. Cette artiste emblématique de Disney avait déjà travaillé sur des classiques comme Alice au pays des merveilles et Peter Pan, mais c’est ici qu’elle livre son chef-d’œuvre esthétique.
Son style très stylisé, aux couleurs vives, formes géométriques et silhouettes épurées, évoque le papier découpé et l’univers enfantin. Ce graphisme singulier contribue grandement à l’impact émotionnel de l’attraction, entre émerveillement et nostalgie.

Un succès planétaire
Le succès californien de It’s a Small World incite rapidement Disney à reproduire l’attraction dans ses autres parcs à travers le monde. En 1971, elle ouvre au Magic Kingdom de Floride. En 1983, c’est Tokyo Disneyland qui l’accueille avec enthousiasme. En 1992, elle figure dès l’ouverture du parc Disneyland Paris, avec une version enrichie, notamment au niveau de la représentation européenne. En 2008, une version adaptée pour le public asiatique voit le jour à Hong Kong.

Chaque déclinaison reprend la structure originale : un bâtiment au style reconnaissable, un parcours en bateau, les poupées animées et bien sûr, la chanson. Mais chacune possède aussi des particularités culturelles : personnages Disney intégrés dans certaines versions asiatiques, réorchestrations locales, ou adaptation du message selon les sensibilités régionales.
Une attraction en constante évolution
Malgré son message humaniste, It’s a Small World n’a pas échappé aux critiques. Certaines représentations culturelles, jugées trop stéréotypées ou datées, ont suscité des débats. Disney a donc engagé un travail de mise à jour, notamment pour améliorer l’inclusivité. En 2022, la version californienne a intégré des poupées en fauteuil roulant, marquant une volonté de refléter davantage la diversité humaine.

Ce travail d’adaptation s’étend aussi aux contextes géographiques. À Tokyo Disneyland, l’attraction conserve sa structure mais insiste davantage sur les cultures asiatiques. À Hong Kong, des personnages comme Mulan ou Lilo apparaissent dans un style fidèle à Mary Blair, créant un pont entre patrimoine Disney et cultures locales.
L’ancrage européen : Disneyland Paris
Lorsque Disneyland Paris ouvre ses portes en 1992, It’s a Small World fait partie des attractions phares dès le premier jour. Grâce aux avancées technologiques, cette version bénéficie d’une réalisation particulièrement aboutie, notamment dans les éclairages et les effets animatroniques. La représentation de l’Europe y est enrichie et adaptée aux attentes du public européen, avec une attention particulière portée à l’équilibre des cultures.

L’attrait de cette version repose sur sa fidélité à l’œuvre originale, tout en l’ancrant dans le contexte culturel local. Elle est aujourd’hui encore l’une des attractions les plus appréciées du parc français.
Une expérience intemporelle
Presque soixante ans après sa création, It’s a Small World continue d’émouvoir les visiteurs de tous âges. Malgré les évolutions technologiques, les remaniements culturels et les critiques, elle demeure une expérience profondément émotionnelle.

Monter dans un bateau, se laisser porter par une musique rassurante, voir défiler des décors naïfs et joyeux : tout cela participe d’une forme de magie universelle. Dans un monde souvent fracturé, l’idée qu’« après tout, le monde est petit » continue de toucher une corde sensible.
Un rêve d’unité toujours vivant
It’s a Small World n’est pas simplement une attraction : c’est une allégorie. Une croisière poétique à travers les différences, un appel à l’unité vu par les yeux de l’enfance. Son message, en apparence simple, reste d’une puissance intacte : nous partageons tous le même monde, fragile, précieux, et si petit.
Le 28 mai 1966, ce rêve a trouvé un port d’attache à Disneyland, mais il n’a jamais cessé de voguer à travers les cœurs.
