Depuis ses débuts, Disney a façonné un imaginaire riche en héroïnes. Des princesses classiques aux jeunes femmes modernes, ces figures ont toujours chanté leurs quêtes de liberté, d’amour ou d’identité. Mais en 2012, avec Rebelle (Brave en version originale), les studios Pixar – en collaboration avec Disney – proposent une héroïne radicalement différente.

Mérida n’est pas une princesse comme les autres. Elle n’attend aucun prince, ne cherche pas à tomber amoureuse. Elle ne rêve ni de bal, ni de château, mais d’indépendance, d’aventures, de tir à l’arc, de grands galops dans les bois. Rebelle déconstruit les codes habituels des contes de fées pour mieux explorer une relation mère-fille, entre tradition et rébellion.

Au cœur de cette révolte douce mais déterminée, une chanson prend une place à part. “Vers le ciel”, ou Touch the Sky dans sa version originale, est bien plus qu’un simple moment musical. Elle est le souffle même du film, l’élan de Mérida, son cri intérieur.

Genèse d’une héroïne
Rebelle est né d’une idée simple mais puissante : raconter une histoire inspirée de la relation complexe entre une mère et sa fille. Ce projet est initié par Brenda Chapman, première femme à réaliser un film Pixar. Inspirée par sa propre vie de mère, elle imagine une jeune fille fougueuse, en désaccord avec les attentes qu’on projette sur elle.

Le décor est l’Écosse médiévale, avec ses châteaux de pierre, ses forêts impénétrables et ses mythes celtiques. L’ambiance est magique, mais réaliste. Ici, les personnages ne sont pas idéalisés. Ils sont fiers, parfois maladroits, et profondément humains.

Mérida devient ainsi une figure de transition dans l’univers Disney-Pixar. Ni soumise, ni parfaite, elle est en quête d’autonomie. Refusant un mariage arrangé, elle brise un vieux rituel et déclenche une série d’événements qui la forcent à mûrir. La chanson “Vers le ciel” intervient au début du film, avant que tout ne bascule, et pose les bases de cette quête : un désir profond de liberté.
Une chanson comme une chevauchée
La chanson “Vers le ciel” accompagne une séquence de pur émerveillement. Mérida, adolescente, s’élance à cheval dans les Highlands, tire à l’arc, grimpe sur des falaises, plonge dans les forêts brumeuses. Tout dans cette scène exprime l’exaltation de la jeunesse et le refus des limites.

Musicalement, cette chanson est portée par une orchestration celtique riche, composée par Patrick Doyle. Violons traditionnels, flûtes, cornemuse, percussions : tout concourt à ancrer le morceau dans l’ambiance écossaise. Et ce n’est pas un hasard : Patrick Doyle est lui-même écossais. Son amour pour les sonorités de sa terre natale irrigue toute la bande-son du film.

Dans sa version originale, “Touch the Sky” est interprétée par Julie Fowlis, chanteuse issue des Hébrides extérieures. Elle y mêle l’anglais et le gaélique, apportant à la chanson une pureté rare, presque ancestrale. Sa voix cristalline épouse la nature sauvage de Mérida et sublime son envol.
Des paroles simples, une portée universelle
“Je chevaucherai, je volerai, je poursuivrai le vent, je toucherai le ciel.” Ces quelques mots résument à merveille l’esprit du film. Ils ne sont pas complexes, mais ils résonnent fort. On y retrouve l’élan adolescent, le besoin viscéral de sortir du cadre, de tenter, d’échouer peut-être, mais d’essayer.

La chanson ne se veut pas révolutionnaire dans son propos, mais elle affirme avec force un droit : celui de choisir sa propre voie. Mérida ne rejette pas sa famille, elle ne fuit pas ses responsabilités. Elle veut simplement écrire sa propre histoire, en dehors du scénario prévu pour elle.

“Vers le ciel” devient alors un hymne discret mais puissant à l’émancipation. Elle ne proclame pas la rupture, mais la construction de soi. Et surtout, elle s’adresse à tout le monde : filles ou garçons, jeunes ou adultes, tous ceux qui un jour se sont sentis enfermés dans un rôle qu’ils n’avaient pas choisi.
Une chanson féministe sans slogans
“Vers le ciel” n’est pas une chanson militante au sens strict. Mais elle porte une vision profondément féministe, dans le sens où elle affirme le droit à l’autonomie, au choix, à l’erreur. Elle dit que l’on peut être jeune, fille, princesse même, et vouloir autre chose que ce que la tradition impose.
Dans un paysage encore largement normé, où les figures féminines sont souvent contraintes à des attentes précises, cette chanson ouvre une brèche. Mérida n’est pas parfaite, elle agit parfois avec impulsivité, mais elle est sincère. Et c’est cette sincérité qui transparaît dans la musique.

Ce qui frappe également, c’est le positionnement de la chanson dans le récit. Elle ne survient pas à la fin, au moment du triomphe, mais au début, comme une promesse. Elle n’est pas la récompense, elle est l’étincelle. Elle nous dit ce que l’héroïne espère, avant que l’intrigue ne vienne bousculer cette envie.
Une esthétique enracinée
L’identité visuelle de Rebelle et l’univers sonore de “Vers le ciel” sont intimement liés. On ne peut parler de cette chanson sans évoquer les paysages sublimes du film : les montagnes brumeuses, les torrents impétueux, les ruines anciennes. Chaque image accompagne la musique, et chaque note souligne un mouvement.

La fusion entre musique et décor est ici exemplaire. On ressent presque le vent, l’humidité de la mousse, la rugosité des pierres. Il ne s’agit pas seulement d’accompagner un moment narratif, mais de créer une sensation, un souffle. Dans ce domaine, Rebelle se rapproche plus du cinéma poétique que du divertissement classique.
La version française, interprétée par Maelys Vallade, respecte cette énergie. La traduction est fidèle, l’élan est préservé. Elle permet au public francophone de ressentir la même émotion, sans trahir l’intention première.
Une chanson, une culture
Au-delà de son rôle dans le film, “Vers le ciel” a permis de mettre en lumière une culture souvent peu représentée dans l’univers Disney : celle des peuples celtiques, des langues minoritaires, des traditions orales. Julie Fowlis, par sa participation, a suscité l’intérêt pour le gaélique écossais, pour une musique moins standardisée.

Si la chanson n’a pas connu le succès planétaire d’un “Let It Go”, elle a touché un public attaché à son authenticité. Elle s’est imposée comme un hymne discret, mais durable. Elle vit encore aujourd’hui à travers des concerts, des reprises, des playlists inspirantes.
Un élan vers soi-même
“Vers le ciel” est bien plus qu’une chanson de film. Elle est une métaphore de ce moment si particulier où l’on décide de prendre sa vie en main, de quitter les chemins tracés, d’oser l’inconnu. Elle ne promet pas que tout sera facile. Mais elle invite à faire le premier pas.

C’est une chanson galopante, avec des accents de liberté, une énergie brute, une beauté simple. Elle parle de l’adolescence, de la fougue, du doute aussi. Elle nous rappelle que rêver grand commence souvent par une petite révolte.
Et si l’on n’a pas tous un arc ni un destrier, on peut tous, à notre manière, choisir de toucher le ciel.