Dans l’univers musical de Disney, certaines chansons font rêver, d’autres font danser. Mais quelques-unes, plus rares, savent raconter l’Histoire, avec un grand H, tout en faisant réfléchir. C’est le cas de « L’or de Virginie », chanson marquante du film Pocahontas, sorti en 1995. Ici, pas de romance ni de magie, mais une plongée grinçante dans les débuts du colonialisme anglais en Amérique du Nord.

Sur un rythme entraînant, la chanson met en scène la ruée vers l’or imaginaire des colons anglais arrivant sur les côtes de la future Virginie. La musique est dynamique, les chœurs exaltés, mais le texte, lui, dénonce avec ironie l’avidité aveugle de ceux qui viennent piller des terres inconnues pour satisfaire leur cupidité.

Une réalité historique derrière la fiction
Derrière l’exagération évidente du personnage de Ratcliffe, gouverneur tyrannique et grotesque qui dirige l’expédition, se cache une vérité historique bien réelle. En 1607, les premiers colons britanniques fondent la colonie de Jamestown. Ils espèrent, à l’image des conquistadors espagnols avant eux, découvrir des mines d’or. L’idée d’un Eldorado nord-américain motive en grande partie cette entreprise de colonisation.

La chanson « L’or de Virginie » synthétise en moins de trois minutes la dynamique économique et idéologique de cette période. Si le personnage de Ratcliffe est une caricature, il incarne malgré tout un état d’esprit colonial bien réel, dominé par la convoitise des ressources, l’indifférence aux peuples autochtones et la destruction de la nature.
Une caricature assumée pour mieux faire passer le message
Disney n’a jamais prétendu faire un cours d’histoire. Pour faire passer un message complexe à un jeune public, le studio utilise ici la caricature comme levier narratif. Ratcliffe est le parfait méchant de comédie musicale : costume flamboyant, ambitions démesurées, et une obsession maladive pour l’or. Il ne cherche pas à explorer ou comprendre, mais à posséder et exploiter.

Cette exagération n’est pas gratuite. Elle permet de rendre visibles les ressorts absurdes et destructeurs de la logique coloniale. Les colons dansent en chantant, les pelles s’activent, les arbres tombent… et personne ne regarde réellement ce nouveau monde, pourtant magnifique. Le contraste entre le rythme joyeux et le contenu profondément cynique crée une critique mordante de la colonisation présentée comme grotesque et violente.
Une opposition de visions – Ratcliffe contre John Smith
L’un des moments les plus marquants de la chanson est la confrontation musicale entre deux voix : celle de Ratcliffe, qui voit partout des filons d’or, et celle de John Smith, qui découvre avec émerveillement une nature intacte et luxuriante. Tandis que Ratcliffe creuse, Smith contemple.

Cette opposition n’est pas seulement esthétique, elle est idéologique. Elle reflète deux manières de regarder le monde : avec des yeux de conquérant ou avec ceux d’un voyageur capable de s’émerveiller. Ce contraste est renforcé par la superposition des deux mélodies à la fin de la chanson, créant une tension musicale qui illustre le choc culturel à venir.
Une composition brillante au service de la narration
On doit cette chanson à Alan Menken, compositeur fétiche de Disney (La Petite Sirène, Aladdin, La Belle et la Bête), et à Stephen Schwartz, venu du monde de la comédie musicale. Leur collaboration donne naissance à un morceau particulièrement intelligent : musicalement entraînant, mais porteur d’un message critique profond.
Le style est martial, les chœurs massifs, presque militaires. La pompe du personnage principal s’entend dans chaque note. L’ensemble crée un décalage comique qui accentue la dénonciation : on rit du ridicule de Ratcliffe, mais ce rire masque une critique acide de l’histoire coloniale.
Une fable historique pour les enfants ?
Peut-on toutefois réduire un événement aussi complexe que la colonisation à un simple duel entre un méchant cupide et un héros humaniste ? C’est la question que pose la chanson. En effet, le schéma semble simpliste : Ratcliffe incarne l’impérialisme brutal, John Smith la découverte sincère, et Pocahontas, l’appel à la paix et au respect.

Ce manichéisme apparent est sans doute nécessaire dans une œuvre destinée aux enfants. Mais il pose des limites : en individualisant les responsabilités, le film occulte les véritables structures coloniales, politiques, économiques, et militaires. John Smith, même s’il évolue, reste un colon. Sa “conversion” n’efface pas le fait qu’il participe à une entreprise de domination.

Cependant, cette simplification volontaire permet d’amorcer une réflexion. Elle sert de porte d’entrée pédagogique pour comprendre le colonialisme, ses motivations et ses conséquences. Pour un jeune public, c’est une première étape accessible vers une vision plus critique.
Un message toujours actuel
Malgré sa caricature, « L’or de Virginie » conserve une résonance contemporaine. À travers les pelles, les tambours et les chants exaltés, la chanson évoque des dynamiques toujours présentes : la recherche effrénée de profit, l’exploitation des ressources naturelles, la violence au nom du progrès. Ratcliffe pourrait facilement être remplacé par un patron d’industrie ou un dirigeant cupide d’aujourd’hui.

À l’inverse, la voix de John Smith — ou celle de Pocahontas — nous rappelle que la nature a une valeur en soi, que la découverte de l’autre peut transformer notre regard, et que l’écoute et la contemplation sont des actes de résistance.
Une chanson entre divertissement et dénonciation
Avec « L’or de Virginie », Disney propose bien plus qu’un simple numéro musical. Sous ses airs de comédie spectaculaire se cache une critique puissante et ironique de la colonisation. En mettant en scène un antagoniste grotesque, le film simplifie volontairement les enjeux… mais ouvre aussi la voie à une réflexion plus profonde.

La chanson réussit le pari de raconter l’histoire en chantant, tout en donnant les clés pour en comprendre les mécanismes. Elle nous invite à interroger notre rapport à l’autre, à la nature, au pouvoir. Et c’est peut-être là la véritable richesse que l’on peut découvrir en Virginie : non pas de l’or, mais de la conscience.