
Depuis ses débuts, Disney a façonné un univers où l’animation devient miroir de récits universels. Par la magie de ses classiques, les studios ont su explorer la puissance de l’émotion, la poésie de l’image et repousser sans cesse les frontières techniques.

Sorti en 1999, Tarzan occupe une place singulière dans cette histoire. Il clôt la décennie bénie de la « Renaissance Disney », cette période où l’animation retrouvait son éclat d’or avec des œuvres comme La Belle et la Bête, Le Roi Lion ou Pocahontas. Mais Tarzan est plus qu’un simple épilogue : il s’inscrit dans la tradition des grands contes animés tout en affirmant une volonté d’innovation. À travers la chanson « Entre deux mondes », le film exprime le tiraillement d’un héros partagé entre la nature et la civilisation, entre instinct et raison, entre deux identités.
Une adaptation audacieuse
L’origine du projet remonte à 1994, lorsque Disney confie au réalisateur Kevin Lima, tout juste auréolé du succès de Dingo et Max, la tâche d’adapter le roman d’Edgar Rice Burroughs en film d’animation.
Aux côtés de Chris Buck, Lima choisit de concentrer le récit sur le thème de l’identité, fil conducteur du roman et du film. Cette idée se traduit notamment par un symbole visuel fort : deux mains se rejoignant, celles de Tarzan et de Jane, métaphore du lien fragile entre humanité et nature.

Loin d’une simple aventure exotique, Tarzan devient ainsi une méditation sur l’appartenance et la dualité. Le film développe une jungle foisonnante, une narration fluide et une bande originale qui agit comme la voix intérieure du héros. La musique, plutôt qu’un simple accompagnement, devient une conscience invisible commentant l’action sans jamais l’interrompre.
Phil Collins, la voix des émotions
Un an avant la sortie du film, Disney fait appel à Phil Collins, qui accepte de relever un défi inédit : composer une bande originale qui ne soit pas une comédie musicale traditionnelle, mais un récit musical intérieur.
C’est dans ce contexte que naît « Entre deux mondes », première chanson composée pour le projet et véritable cœur émotionnel du film. Collins y exprime la tension entre la peur de l’inconnu et la force du lien — croire en ce qui nous unit malgré nos différences devient une forme de courage.

Le chanteur collabore avec Mark Mancina pour tisser un motif musical capable de se fondre dans toute la trame sonore du film, garantissant une cohérence entre les chansons et l’orchestration. Mancina soulignera d’ailleurs plus tard l’importance que « les chansons ne paraissent pas enregistrées deux ans plus tôt et plaquées sur le film ».

Cette intégration musicale subtile explique la présence récurrente d’Entre deux mondes : au prologue, lors du naufrage des parents de Tarzan et de la naissance de Kala et Kerchak, puis dans les moments-clés de la narration jusqu’au générique final. Certains spectateurs y ont vu une insistance, d’autres une parfaite unité musicale.

Pour renforcer son universalité, Phil Collins ne se contente pas de chanter en anglais : il interprète la chanson en français, espagnol, italien et allemand, une prouesse rare. Chaque version conserve l’esprit original tout en respectant la musicalité propre à chaque langue. Les paroles françaises, en particulier, condensent l’essence du film et de son héros : un être suspendu entre deux mondes.
La résonance d’une chanson universelle
Musicalement, Entre deux mondes fusionne percussions tribales, guitares acoustiques et orchestration symphonique, reflétant à la fois la pulsation de la jungle et le battement du cœur humain. Cette dualité sonore traduit parfaitement le dilemme de Tarzan, partagé entre la nature sauvage et le monde civilisé.

La chanson connaît une vie bien au-delà du film. Elle sera reprise par Corbin Bleu pour Disneymania 5 et intégrée à la comédie musicale Tarzan en 2006, où elle ouvre le spectacle.
Si Entre deux mondes ne remportera pas de récompense, Phil Collins sera couronné d’un Oscar pour “You’ll Be in My Heart”, autre chanson emblématique du film. Fort de ce succès, le compositeur sera rappelé par Disney pour Frère des ours (2003) et Tarzan II (2005), confirmant la solidité et la longévité de son partenariat avec le studio.
Une métaphore en musique
Entre deux mondes n’est pas seulement la chanson d’ouverture d’un film d’animation. C’est une métaphore musicale de tout Tarzan — l’union de la nature et de la civilisation, du silence et du chant, du cinéma et de la musique.
En 1999, Disney ne signait pas seulement la fin d’une ère dorée : il offrait une œuvre où le mythe rejoignait la modernité, où l’homme rejoignait la nature, et où la musique devenait le pont entre deux univers.
Vingt-cinq ans plus tard, Tarzan continue de vibrer « entre deux mondes », là où l’émotion rejoint la légende.
