Chanson, musique sont un art exigeant qui demande des heures d’exercice. Les Studios l’ont évoqué d’ailleurs à travers les exercices vocaux de la petite Marie dans les Aristochats. Il s’agit d’une toute petite chanson courte qui en dit bien plus long qu’elle n’en a l’air puisque son contraste avec le reste de la bande originale sera l’illustration même du sujet développé dans le film : Des Gammes et Des Arpèges.
Donner vie au projet
Ce film particulier tient une place particulière dans l’histoire des Studios Disney puisque c’est le premier de l’ère post Walt Disney.
En réalité, le premier film qui sortira après le décès de Walt, c’est le Livre de la Jungle, en 1967, mais celui-ci avait été largement supervisé par lui.
Dans le cas des Aristochats, il avait validé le projet. On peut même dire qu’il l’avait initié dès décembre 1961 lorsqu’il demande à Tom Mc Gowan de concevoir des histoires animalières pour de futures productions. Très vite, ce dernier rassemble des esquisses et parmi elles celle d’une famille de chatons et de leur mère.
Il ne s’agissait pas, alors, d’envisager le développement d’un film d’animation mais bien d’un projet en prises de vue de réelles en deux parties pour l’émission The Wonderful World of Disney.
Walt avait donc prévu une histoire tournée avec de vrais chats. Dès 1962, une première version du scenario prévoit déjà, outre les félins, la présence d’un majordome interprété par Boris Carloff et une infirmière par Françoise Rosay. Il situe l’action à Paris.
Du live au dessin
Le projet est envoyé dès le mois d’août pour être validé par Walt. Mais à sa lecture, le papa de Mickey suggère qu’il soit revu pour en faire un film d’animation. Suivront une série de discussion sur les droits de l’histoire mais en août 1963, c’est bien cette option qui est retenue : un long-métrage d’animation avec les frères Sherman pour la musique.
On sait depuis que le projet ne sera pas mis en production par Walt Disney. Il sera repoussé parce que Walt était accaparé par la production du Livre de la Jungle et ce n’est que quelques jours avant son décès qu’il approuve la production.
Lorsque Walt décède, il semble logique de se plonger dans le projet. Un peu comme si on respectait les dernières volontés du maître, même si l’équipe de production va prendre un peu de liberté en souhaitant donner un ton différent au film.
C’est à ce moment que l’on va se diriger vers une approche moins axée sur les éléments de comédie musicale et plus orientée vers l’ambiance parisienne et le jazz.
Changement de cap
Le choix de cette légère intrigue musicale dans une ambiance européenne du Paris aristocratique et bohème du début du 20ème siècle va provoquer un changement de cap dans la création musicale, non seulement en influençant la musique mais aussi sur la désignation des compositeurs.
A l’origine, lorsqu’il autorise la mise en production du film, Disney appelle son duo fétiche, les frères Sherman. Ceux-ci composeront alors plusieurs chansons destinées à accompagner l’intrigue et les personnages du film.
Avec la nouvelle direction, la majorité de leurs compositions seront supprimées au cours de la production pour répondre aux changements de direction du film.
Mais en quoi consiste ces changements d’orientation ?
« Les Aristochats » se déroule dans le Paris du début du XXe siècle, une période où le jazz fait une timide apparition sur le vieux continent. Le Studio Disney décide donc d’exploiter cette ambiance jazz pour mieux traduire l’univers urbain et bohème du film.
Or, les compositions des frères Sherman, bien que charmantes, étaient souvent d’un style plus traditionnel et classique, correspondant au style musical Disney de l’époque, mais ne traduisait pas cette atmosphère de liberté et de dynamisme.
C’est pourquoi on se tourne vers d’autres compositeurs, notamment George Bruns, pour retravailler l’accompagnement orchestral du film. On confie aussi l’écriture de chansons à Terry Gilkison qui nous laissera Thomas O’Malley et surtout Floyd Huddleston et Al Rinker qui écriront ce fabuleux moment de jazz de Tout le monde veut devenir un Cat.
Résultat Final : Une Bande Originale Hybridée combinant le style classique des frères Sherman pour certaines scènes, et des morceaux jazz pour capturer l’esprit libre et festif des personnages félins de la rue.
Fonction sociale
Mais Gammes et Arpèges nous vient bien des frères Sherman. Les Aristochats vivent dans une demeure aristocratique. La chanson intervient au début du film. C’est une chanson courte, dans laquelle la petite Marie répète les éléments fondamentaux de l’apprentissage de la musique classique sous le regard de sa maman Duchesse et accompagnée au piano par son frère Berlioz tandis que le troisième chaton, Toulouse, s’exerce à la peinture. Avec cette chanson, on comprend que les chatons sont élevés dans le respect des normes artistiques de l’aristocratie parisienne du début du XXe siècle.
Elle agit donc comme un marqueur culturel d’un certain niveau social. En ce sens, la chanson nous prépare aussi à la rencontre entre la famille de chats aristocrates et les chats des rues plus tard dans le film et marquera une opposition entre tradition et modernité.
Un enfant reste un enfant
La scène a aussi ce moment cocasse où les choses commencent à déraper quand le jeune peintre débarque sur le piano. C’est là une autre fonction de cette chanson. Elle nous donne un aperçu du caractère de Marie, Berlioz, et Toulouse, des chatons aristocratiques mais qui n’en restent pas moins de petits espiègles. Elle contribue donc à renforcer la personnalité des personnages.
Bien français
Plus largement, elle fait également partie des chansons du film qui manifestent l’ancrage français de l’histoire. D’ailleurs, si “Gammes et arpèges” n’a pas atteint la même notoriété internationale que certaines chansons des Aristochats, elle reste populaire dans le monde francophone où Les Aristochats a rencontré un succès considérable.
Effectivement, le caractère “français” du film, dans les décors et l’animation, ainsi que dans des chansons comme celle-ci, a contribué à l’attachement du public français à cette œuvre.
En résumé, “Gammes et arpèges” est une chanson qui, nous ramène à une époque d’élégance et de raffinement. Une chanson qui, par le choix de ses compositeurs, représente la vision artistique de Walt Disney.