Chapitre 1 — Disney dans la tourmente (années 1970–1980)
Depuis sa création en 1923, The Walt Disney Company s’est imposée comme le studio de référence en matière de films d’animation féériques, porteurs de magie, de morale et de nostalgie. Pendant des décennies, son nom reste associé aux productions familiales visant principalement les enfants et leurs parents.
Mais au tournant des années 1970 et 1980, l’entreprise traverse une période difficile. Les films ne parviennent plus à convaincre un public élargi, tandis que l’image « enfantine » du studio rebute les adolescents et adultes. Les critiques se multiplient, qualifiant les productions de « prévisibles », « clichées » ou trop conservatrices. La concurrence, elle, intensifie ses efforts en ciblant des spectateurs plus matures.
Au début des années 1980, Disney fait face à un défi inédit : renouveler son image sans renoncer à son identité historique.
C’est dans ce contexte qu’arrive une date clé : le 9 mars 1984, jour de sortie du film Splash, qui marquera un véritable tournant dans l’histoire du studio.
Chapitre 2 — La création d’un label audacieux : Touchstone
Face à l’impasse, Ron W. Miller, PDG de Disney à l’époque, imagine une stratégie inédite : créer un label parallèle permettant de produire des films destinés à un public plus adulte, sans compromettre l’image familiale du nom « Disney ».
Ce label voit officiellement le jour le 15 février 1984 sous le nom de Touchstone Films, avant de devenir Touchstone Pictures deux ans plus tard. Son objectif est clair : séparer les films destinés à un public mature des productions familiales traditionnelles.
Pourquoi « Touchstone » ?
Le nom aurait été choisi parmi plus de 1 200 propositions. La « pierre de touche », utilisée pour tester la pureté des métaux précieux, symbolise ici l’idée d’expérimentation et d’innovation tout en garantissant une certaine exigence de qualité.
Le logo — une sphère traversée par une traînée dorée — illustre parfaitement cette métaphore : la pierre représente le cœur du label, tandis que la traînée marque l’empreinte que Touchstone s’apprête à laisser sur le cinéma, dans l’ombre bienveillante de Disney.
Un label interne, pas une société indépendante
Touchstone n’est pas un studio séparé, mais bien un label interne offrant une plus grande liberté artistique. Il permet de traiter des thèmes plus adultes, incluant parfois un langage plus libre, une certaine nudité, ou des relations amoureuses complexes, tout en respectant les limites de la maison mère.
Touchstone devient ainsi le moyen pour Disney de conquérir un public que son image traditionnelle ne pouvait plus atteindre.
Chapitre 3 — Splash : le premier test décisif
Pour inaugurer ce nouveau label, Disney choisit une comédie romantique fantastique : Splash, réalisée par Ron Howard et écrite par Lowell Ganz, Babaloo Mandel et Bruce Jay Friedman. L’histoire suit un homme sauvé dans son enfance par une mystérieuse sirène, qu’il retrouve des années plus tard à New York et dont il tombe amoureux.
Ron Howard et un casting prometteur
Le choix de Ron Howard, jeune réalisateur déjà respecté, s’avère stratégique. Son approche mêlant sensibilité et légèreté correspond parfaitement au ton recherché : un film mature, mais accessible.
Le casting réunit un Tom Hanks en pleine ascension et Daryl Hannah, dont le rôle de sirène exige un mélange de présence physique et de subtilité. Pour affirmer sa différence, Touchstone fait appel à des équipes extérieures au studio Disney, rompant avec les habitudes internes.
Un pari risqué mais maîtrisé
Avec un budget relativement modeste de 11 millions de dollars, l’équipe accorde un soin particulier à l’esthétique, aux effets spéciaux et à l’atmosphère du film. Malgré les limites technologiques de l’époque, la sirène prend vie de manière crédible, et la bande sonore renforce la dimension romantique et fantastique.
Des thèmes plus matures, mais fidèle aux valeurs Disney
Splash aborde la différence, l’acceptation, la liberté individuelle et les choix de vie. La romance entre deux mondes opposés permet d’explorer des sujets plus adultes tout en évitant la vulgarité. Cette combinaison — fantastique, humour, modernité — devient la marque de fabrique du label.
Sortie et réception
Le 9 mars 1984, Splash sort sur les écrans américains. La promotion vise un public adulte tout en préservant l’aura Disney : la sirène reste pudique, les valeurs familiales ne sont pas transgressées, malgré quelques passages plus suggestifs.
Commercialement, c’est un triomphe : près de 69,8 millions de dollars de recettes aux États-Unis pour un budget de 11 millions. La critique se montre plus partagée, évoquant un scénario parfois « mollasson » ou un humour daté, mais saluant la fraîcheur et la romance du récit.
Ce succès confirme la pertinence de Touchstone : Disney est capable de séduire un public adulte sans renier son identité.
Chapitre 4 — Héritage et fin d’une époque
Splash établit le modèle Touchstone : un équilibre entre audace, humour, romantisme et respect des valeurs. Le label enchaîne alors les films marquants, parfois plus audacieux, comme Le Clochard de Beverly Hills, Qui veut la peau de Roger Rabbit, Le Cercle des Poètes Disparus, et bien d’autres.
La création de Touchstone influence l’industrie entière, poussant d’autres studios à revoir leur segmentation du marché.
À partir de 2009, Touchstone se concentre sur la distribution des films de DreamWorks Studios dans le cadre d’un partenariat qui s’achève en 2016, avec la sortie de Une vie entre deux océans, dernier film distribué sous ce label. Par la suite, Touchstone est mis en sommeil, marquant la fin d’une ère.
Malgré sa disparition, son héritage demeure essentiel dans l’histoire de Disney : Touchstone a ouvert la voie à des productions plus ambitieuses, capables d’explorer de nouveaux publics et de nouveaux registres.
Et Splash, plus de quarante ans après sa sortie, reste le symbole de cette audace et de cette créativité qui ont durablement influencé le cinéma grand public.
Ça s’est passé un 9 mars 1984.
